Читать книгу La bonne mère онлайн

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Madame Richard, excellente par le cœur, péchait sous le rapport du jugement. Entraînée par le sentiment, la réflexion n’arrivait jamais que trop tard pour avoir chez elle un heureux résultat. A l’en croire, elle jugeait son monde au premier coup d’œil, et pressentait même ce qu’étaient les gens dont on lui parlait sans les avoir jamais vus; elle leur arrangeait une figure, une tournure, puis traçait autour d’eux un cercle, dans lequel elle les faisait se mouvoir et parler, leur prêtant les gestes et le son de voix en harmonie avec les sentiments qu’elle leur avait supposés. On peut croire, d’après cet aperçu, que mille fois elle s’était trompée; mais bien qu’elle passât d’une erreur à une autre, sa perspicacité n’était pas moins le premier article de sa foi. Les indifférents si nombreux, malgré la doctrine céleste qui nous les assimile par les liens de la fraternité, n’existaient pas pour madame Richard. Tous ceux que des rapports prochains ou éloignés placèrent sur son passage, éprouvèrent, de sa part, attraction ou répulsion. Alice, à l’imitation de madame Richard, ressent, sans examen, les sympathies les plus exagérées comme les antipathies les plus vives. Pour elle, pas de milieu: ceux qui l’entouraient ou possédaient les vertus imaginaires dont elle aimait à les parer, ou étaient d’une espèce anormale, capable des actions les plus basses et les plus honteuses. Les jugements téméraires ne lui coûtaient rien, et elle croyait à sa première idée comme à une révélation. Il fallait toujours un objet à sa prévention et à sa prédilection. Rose, dont nous avons déjà parlé, qui l’avait vue naître, et qui l’aimait de tout son cœur, s’était soutenue dans ses bonnes grâces; sa faveur même croissait en raison du développement de l’amour-propre d’Alice. Disons, en passant, que les flatteries de la bonne avaient leur part dans la recrudescence de vanité qui marqua cette phase de la vie de notre petite héroïne; déjà elle se posait modestement comme un astre autour duquel gravitent des satellites. Selon sa manière de sentir, la vie de ceux que le sort avait placés près d’elle, leur mission à remplir le but de leur existence, se rapportait à elle. Amour, fidélité, dévouement à sa personne, tout était là. Cependant, malgré ses travers d’esprit, comme son cœur était bon et son caractère généreux, elle inspirait naturellement une affection mêlée de pitié.

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